Je m’ennuie à mourir ...
L’homme pénètre dans le grand hall, « parc d’expositions de … ».La salle est pleine comme un œuf, un mouvement de foule, une ola de terrain de foot se mettent en branle. Et ce cri ! Des milliers de voix, en un accord impressionnant qui gonfle les poitrines, sonnent comme un tonnerre.
« Je te l’avais bien dit, s’exclame mon ami Gilbert, cet homme est l’homme du siècle, celui qui va nous sortir enfin de cette situation, ce marasme nous ne parvenons pas à vaincre ! »
Nous avons fait le déplacement, fougueux et débordant de militantisme. Notre volonté est enfin assouvie : Il est là ! Nous avons, bien sûr, écouté presque toutes ses déclarations, suivies aussi sur Internet … Nous nous sommes même laissés aller à devenir friands des (rares) rencontres involontaires entre les magazines people et lui …
Des bousculades, des discussions enfiévrées entre les spectateurs qui ont trouvé une place assise, des interventions imparables et musclées des services de sécurité … Nous connaissions la notoriété de ce leader politique, montée en flèche depuis un an, mais à ce point …
Un air de musique reconnu par tous, et repris immédiatement en chœur, sort d’une énorme sono. Notre candidat à la présidence de la République entre en scène sous les vivats. Agitant les bras, il s’approche du micro, et le saisit comme s’il l’écrasait dans son poing.
Alors peut commencer la musique … Oui, une musique, sur tous les thèmes, douce, ou enjouée et entraînante, et enfin assourdissante, violente, telle un air militaire. Elle rythme ses arrêts dans le discours, semble nous intimer l’ordre d’applaudir. Le meeting est réglé à la seconde près. Le discours a pris son rythme de croisière, et je ressens une sorte de gêne, de malaise : « Mais je connais tout cela par cœur, j’ai lu toutes ses publications … » Les arguments, les critiques, tournent en rond, ressassés, rabâchés depuis des mois. Un ronronnement s’installe, je me prends à disperser mon attention. Mon regard se porte bientôt sur le décor de ce qui m’apparaît tel un théâtre bien agencé, avec ses à-coups, ses effets de manches, ses déplacements sur la scène. Les mots sont articulés superbement, il pratique merveilleusement l’art de la rhétorique, mais il me semble, de plus en plus fort, que sa posture de tribun n’est pas utile ici où le combat de la persuasion est déjà gagné. Les phrases coulent et roulent, ciselées, percutantes. Mais que se passe-t-il ? Tout cela me paraît soudain très redondant, déjà vu et entendu, et, bientôt, surfait. Je me fais sans doute des idées, mais c’est monotone, lassant, et même irritant.
Il est à présent plus attaché à la mise en scène qu’au contenu de son discours. Stupéfait, je regarde Gilbert : il éprouve certainement le même sentiment, un terrible ennui !
Il transpire, comme habité, auto-subjugué. Moi j’ai le dos en nage, mais c’est la chaleur de la salle. … Je me surprends à bailler et à m’enfoncer dans mon siège : Attention, surtout, ne pas m’endormir !
Je tente de me concentrer en effectuant un panoramique sur les drapeaux déployés, les affiches (combien en ai-je collé ?), les banderoles, les slogans.
Il pose sur certains militants un regard aigu : Il personnalise, individualise … Il en deviendrait un gourou ! Qui a parlé de « culte de la personnalité » ?
Le discours touche à sa fin. Applaudissements déchaînés, hymnes, rappels (oui, comme pour un jeune chanteur !)
Je me frotte le cou, crispé. Déçu, dépité.
Le tribun est épuisé, lessivé comme un boxeur. Pantin désarticulé.
Dans le tumulte général, une seule préoccupation : où ai-je stationné ma voiture ?
Loïc