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La "photo convoquée" ...
Ce qui m'étonne, c'est la pose générale de ce groupe familial : une allure moderne, en fait, si on oublie les vêtements, les bésicles de certains, et la devanture.
Nous sommes en 1927. Mon père, au premier plan, a six ans. Mon grand-père a "grimpé l'échelle sociale" Jusqu'en 1914 il fabriquait de la charcuterie, qu'il vendait dans les rues de Brest, poussant une carriole (ma grand-mère disait "sa charrette à bras").
Ce qui me touche est de "revoir" la scène suivante : Le grand-père paternel, Mathieu, a déplié une béquille, son attirail est à présent un étal. Il interpelle les badauds : "Il est chaud, il est chaud, mon boudin !"
Ce qui me fait sourire : Elles sont désormais nombreuses à s'approcher, la gamelle en main, et se font servir, à la louche, une bonne part de boudin-fumant-avec-sa-sauce. Les discussions vont bon train, bien sûr, car ces étals de rues sont les "radios-lavoirs" de la ville.
Parfois, changement de menu : ce sera jour des tripes à la bretonne, très chaudes (comment faisait-il ?).
Quel régal ce devait être, les jours de crachin et de froid ! encore meilleur que les crèpes au beurre qui dégoulinent entre les doigts ...
Ce qui est surprenant : Je me souviens non pas de cette scène que je n'ai pas connue, bien sûr, mais de l'image que je m'en fais, qui était alimentée régulièrement par les apports de ma grand-mère. Elle m'a raconté (mais où est le vrai... ?) que son Mathieu lançait la cuisson de son boudin dès son lever, et que, préparant tout son attirail, il dégustait, en guise de petit déjeuner, un grand bol de sang tiède, sans cuiller, en s'essuyant la moustache avec CE mouchoir à carreaux. Elle tendait alors vers moi la relique ...
Les photographies familiales ou professionnelles étaient rares. Ici, le travail et la vie privée se confondent, car toute la famille participait à la tâche, en témoignent les regards effarouchés, sérieux, graves. Peur de l'appareil photo, instant rarissime de la première et sans doute seule photo de la vie ?
Sur le fronton, au-dessus de la devanture, s'étalent fièrement les grandes lettres de la "Charcuterie Roussin", la plus connue et réputée (évidemment !) du quartier de Kérinou, au bas de Lambézellec.
Ce qui m'intriguait, tout de même : Mon grand-père Mathieu a "fait" 14-18. Il est mort en 1934, "des suites de gazage", disait grand-mère. Alors je me demandais (naïvement ?) s'il était normal de ne voir sur la photo aucune trace de gazage sur son visage. Cela faisait courir et déborder mon imagination dans des visions épouvantables et même traumatisantes.
Mais le grand sourire si doux de Grand-mère et ses petits baisers mouillés sur mon front effaçaient tout ...
Loïc
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Commentaires
Avec du vin, c'est certainement encore meilleur ...
Content que tu notes la tendresse, car c'est le mot qui décrit bien ce que je ressentais dans l'ambiance de "chez grand-mère".
Ah j,adore ce genre de souvenir de la vie quotidienne d,antan, et tu les convoques avec talentCes vieilles photos font remonter une multitude de souvenirs, souvenirs qui se sont tout simplement transmis de bouche à oreille
Amicalement
Claude
une belle photo ancienne pleine de souvenirs-
un billet émouvant- de la tendresse ! tu racontes fort bien avec des yeux d'enfant-
bonne continuation- amitiés-Un texte magniifique.
En le lisant, j'ai pensé aussi au livre récent d'Orhan Pamuk, "Cette chose étrange en moi". Le monde a tant changé en apparence, mais dans nos mémoires qui ne peuvent se tromper, le temps est immobile, comme ces personnages de votre photo qui nous regardent encore.
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Très touchant et décrit avec tendresse. Rien n'a changé finalement quand les familles se réunissent, chacun se blottit dans le groupe, c'est chaud et réconfortant quelle que soit l'époque.
J'ai vu (avec horreur) dans les Landes que les gens buvaient du sang de cochon à peine celui-ci égorgé, mélangé à du vin...