• Tolède, 1967.


    Devant les murailles de Tolède, l'autocar s'est arrêté, à bout de souffle.
    Je m'éveille, la langue pâteuse, l'esprit bien embrumé. C'est un autocar chargé d'adolescents, qui font partie d'un « camp de vacances » en Espagne. Déjà un arrêt a eu lieu ce matin, vers onze heures trente, pour le déjeuner. Déjà, sous l'effet de la chaleur, les boîtes de conserve du repas étaient gondolées, et nous avons tous éclaté de rire quand une boîte de sardines a laissé gicler son jus, à l'ouverture. Nous nous sommes résignés, faute de mieux, à avaler les sardines chaudes, écoeurantes, infâmes… Toutes nos activités sont centrées, dans ce camp, autour de la météo, de ce soleil obsédant, toute sont tributaires de cette chaleur insupportable, accablante.
    L'autre jour, pendant la visite de Madrid, nous étions occupés à acheter des cigarettes à l'unité lorsque trois d'entre nous ont été victimes de malaises et de coups de chaleur. Nous voulons nous départir de nos vêtements, mais en Espagne - en 1967, le « Caudillo » Franco est encore au pouvoir… - il est interdit de se promener en T-shirt et en short à proximité des églises. Nous subissons, donc.
    Nous voici à présent en face de la cité de Tolède, de l'autre côté du Tage, à nos pieds. Nous avons écouté les explications d'un guide très fatigué à la voix monotone, au français bien approximatif. Notre écoute est très difficile, car beaucoup d'entre nous sont accablés par la chaleur, certes, mais aussi  par le petit verre de sangria absorbée à la fin de la visite des fabriques d’épées…
    Nous ne les avons pas vus tout de suite, mais le son du mélodéon s'est fait entendre peu à peu, grossissant et semblant rebondir comme un écho entre la ville et la colline. Ils sont deux. Un vieil homme, le musicien, porte un costume de paysan andalou, très usé, au pantalon rapiécé et râpé aux genoux. Son boléro pend lamentablement sur une chemise rouge et sur un ventre bedonnant. Sur sa tête, un immense chapeau mexicain. L'enfant, lui, porte une tenue plus quelconque, jeans et T-shirt. Il porte une ceinture garnie d'un porte-monnaie en cuir, qu’il garde précieusement. Tous deux sont placés de part et d'autre d'une charrette tirée par un âne gris au poil très long. Très rapidement, j'imagine que le vieil homme est le grand-père du garçon, et que celui-ci est sans doute orphelin. Le film de Joselito me revient ainsi en mémoire. La carriole est chargée d'objets divers, destiné aux touristes : petites épées, églises miniatures faiseuses de neige, petits harmonicas… Le vieil homme a fini de jouer, et le jeune garçon tend le chapeau de son grand-père. Mais… ce qui devait se produire : le paiement n'arrive pas. Un groupe d'adolescents bien échauffés se moque du duo, secoue la carriole et les deux personnes, en leur criant de déguerpir. Le jeune garçon tente bien de les calmer, de les retenir, rien n'y fait. Alors un des adultes responsables fait monter tout le monde dans le car, qui démarre rapidement.
    Dernière image : Le jeune garçon court derrière le car, brandissant un cageot d'abricots, il crie, pleurant à chaudes larmes.
    Partager via Gmail Yahoo!

  • Commentaires

    1
    dom
    Samedi 3 Septembre 2016 à 06:35
    Ca me rappelle mes vacances en Espagne, dans les années 70 ...
    Un souvenir particulier des ânes chargés comme des mulets ;-) qui transportaient toutes sortes de babioles pour les touristes.
    Et la chaleur accablante à laquelle on n'est pas habitués : l'occasion de se gaver de bonne glaces ! Mmmmm
    Tout comme la tenue vestimentaire si trop restreinte, sifflée par la guarda civil !!! La camisa était obligatoire.
    Bon week end !
    Dans une chaleur quasi ibérique.
    2
    Samedi 3 Septembre 2016 à 07:15
    Un carnet de voyages très bien écrit. On vit ce souvenir avec toi. Très émouvante la fin. Bon week-end
    3
    Samedi 3 Septembre 2016 à 07:24
    La chaleur est dure à supporter et le tourisme de masse n'apporte pas que des gens intelligents ou sympathiques.
    4
    Samedi 3 Septembre 2016 à 08:19
    De beaux souvenirs d'une autre époque...!!! C'est vrai qu'en Espagne en 1967, il fallait se conformer aux us et coutumes de l'Espagne imposés par le régime franquiste ! Il n'y a que la chaleur estivale qui n'a pas changé.
    Bises et bon samedi !
    5
    Samedi 3 Septembre 2016 à 09:22
    Une histoire qui en dit plus long qu'elle n'en n'a l'air sur la notion de responsabilité.
    6
    Samedi 3 Septembre 2016 à 09:33
    une belle plume pour nous raconter cette journée très chaude-
    bravo ! bon week-end-
    7
    mireille du sablon
    Samedi 3 Septembre 2016 à 11:45
    ... une autre époque que tu évoques avec beaucoup de tendresse et de réalisme surtout!
    Bises de Mireille du sablon
    8
    Samedi 3 Septembre 2016 à 15:02
    Bonjour Chris
    Une belle promenade dans cette superbe ville, mais dis donc ça remonte quand même à quelques années et le président de la république n'est plus le même, le tee shirt est autorisé.
    Il arrive toujours des péripéties en voyage, et quand il fait chaud c'est quelque fois très déplaisant, mais mieux il vaut en rire.
    Je te souhaite une très bonne journée
    @lain
    9
    Samedi 3 Septembre 2016 à 18:18
    Un récit fluide et réaliste. Ce devait être quelque chose d'encadrer un camp d'ados. J'ai cru comprendre que tu étais dans le lot des ados.
    Belle fin de semaine
    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    10
    Samedi 3 Septembre 2016 à 18:25
    En effet, Jeanne, j'avais 15 ans. Nous n'étions pas toujours faciles à gérer !
    11
    Samedi 3 Septembre 2016 à 18:26
    En effet, Jeanne, j'avais 15 ans. Nous n'étions pas toujours faciles à gérer !
    12
    Samedi 3 Septembre 2016 à 19:36
    On s'y croirait presque..bonne fin de soirée
    13
    Samedi 3 Septembre 2016 à 20:22
    Tu as pensé à Josélito qui cadre bien dans l'ensemble évidemment, mieux que Rémy et Vitalis auxquels je pensais au début. C'est un beau récit, sans concession, une certaine dose de cruauté (sans haine) faisant partie de l'adolescence, surtout en groupe. Je ne sais pas si la photo est de toi mais elle est belle.
    14
    Samedi 3 Septembre 2016 à 22:01
    Merci, Almanito.
    J'étais alors, déjà, en révolte(s), 68 approchait !
    La photo n'est pas de moi, mais je l'ai choisie parce qu'elle représente exactement le point de vue, sur un promontoire, que j'avais de la ville.
    15
    dom
    Dimanche 4 Septembre 2016 à 06:43
    Bon dimanche, en attendant un peu de pluie, mais 20° à 5 heures !
    Bisoux, loïc
    16
    Dimanche 4 Septembre 2016 à 22:45
    mon fils est arrivé ce soir même de Séville...le voyage continue avec ton article.
    17
    dom
    Lundi 5 Septembre 2016 à 07:07
    Bon début de semaine, avec, toujours un temps très agréable.
    Je vais en profiter pour partir un peu, mercredi, sauf imprévu ...
    Jusqu'à ... je ne sais pas !
    Bisoux, loïc
    18
    Lundi 5 Septembre 2016 à 08:37
    Merci, Gérard. La roue tourne ...
    19
    Lundi 5 Septembre 2016 à 11:04
    Tu veux me faire pleurer un jour de rentrée ?
    20
    dom
    Mardi 6 Septembre 2016 à 07:33
    Bon mardi, dans l'effervescence des préparatifs de départ.
    Bisoux, loïc
    21
    Mardi 6 Septembre 2016 à 16:26
    C'est une belle ville, mais oui en effet on pourrait défaillir à chaque coin de rue tant la chaleur y est accablante.
    J'ai aimé ton récit et cette fin si triste...
    22
    Mardi 6 Septembre 2016 à 22:32
    Une scène bouleversante, bien racontée !
    Je découvre le "mélodéon".
    23
    dom
    Mercredi 7 Septembre 2016 à 06:48
    Bon mercredi et ... à la semaine prochaine !
    Gros bisoux, loïc
    24
    Mercredi 7 Septembre 2016 à 09:29
    Bonjour et merci d'être passé chez moi. Je découvre ton blog et j'aime parce que j'aime le bon français et l'écriture.
    J'ai connu aussi cette Espagne-là dans les années 70 et surtout l'Andalousie dont était originaire mon ex-mari et où nous allions chaque été.
    La chaleur y était en effet accablante et nous n'avions pas de clim.
    Mais nous apprécions quand même.
    J'ai beaucoup aimé les films de Joselito, d'ailleurs j'en ai encore.
    Bonne journée.
    25
    Vendredi 9 Septembre 2016 à 10:43
    Passionnante évocation de cette tranche de vie vécue, Loïc. Moi aussi j'ai quelques souvenirs de "traversée" de l'Espagne sous Franco (pour aller et revenir du Maroc). Bien amicalement.
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :