• Marins, marines

    Marins, marines.   Fastoche, ce thème, m'a t'on dit ? Il me serait en effet assez facile de ressasser l'ambiance des romans maritimes, ceux de Pierre Mac Orlan, les chants de marins, et de servir tout chauds des vieux clichés. Mais j'écris aujourd'hui depuis les bords de Loire, près d'Orléans : je viens d'y apprendre - moi qui ne connaissais que les "mariniers" - qu'il existe, ou existait deux marines, sur la Loire : le transport de marchandises, et celui de personnes, présentant de grandes différences dans les modes de travail et surtout dans les mentalités. À Brest, quatre "marines" (au moins !) : la Royale (Marine Nationale), celle du Portde (port de Commerce), celle des pontons (la plaisance) et enfin quelques pêcheurs.*

    Je suis né en pleine période de reconstruction d'une ville totalement rasée par les bombardements américains et anglais de la fin de la guerre 39-45. Mes parents nous ont parlé, tout au long de notre jeunesse, de cette blessure qui les a littéralement traumatisés. Des quartiers disparus, le tram de l'époque, des noms de magasins, le Grand Pont tournant, me sont familiers, même si je ne les ai jamais connus, comme "Barbara", ou la Fanny de Laninon ... Il y avait souvent beaucoup de monde, le soir, à "l'Abri de la tempête", dans une rue perpendiculaire à la fameuse rue de Siam. La faune des matafs (marins d'État), qui arboraient leurs bachis au pompon rouge, donnait à l'enfant que j'étais l'impression d'une foule bruyante, animée, mais sympathique et - le plus souvent - joviale et conviviale. Je suis né juste au-dessus de ce bistro, chez moi, une nuit d'hiver. Je n'ai jamais su s'il pleuvait ce soir-là sur Brest, ni si la patrouille de la Police Maritime y avait fait une descente. Lorsqu'ils débarquaient, ceux-là, ça ne rigolait pas. Coups de matraques solidement appliqués, et au poste des punis, après un séjour dans la cellule de dégrisement ... Mon père ne mettait jamais les pieds dans ce bistro. Il n'aimait pas, et surtout, fallait pas mélanger : les matafs d'un côté, les ouvriers de l'Arsenal de l'autre, non mais ! Les ouvriers, pour leur part, étaient bien plus nombreux à être "casés", pères de famille ... Pas la même vie. Des cris, des bribes de conversations montaient parfois jusqu'à l'étage :  "Indochine", puis "Algérie" ...  

    XXIème siècle. Le nombre d'ouvriers de l'Arsenal s'est réduit comme peau de chagrin. On ne reconnaît plus les matafs dans les rues, car ils sont en civil. La curiosité est attisée lorsque l'on croise un marin étranger en escale : le jeu consiste à reconnaître le pays à l'uniforme. Durant mon adolescence, et plus particulièrement en 1968, je ne voulais plus entendre parler des bateaux gris, car j'étais, comme beaucoup alors, pacifiste et antimilitariste. Dans le premier port militaire français, cela faisait un peu désordre ... ! Mon amour (le mot n'est pas trop fort) allait au port de commerce. Les noms des navires, leurs pavillons, leurs équipages, que je rencontrais sur les quais, m'invitaient aux voyages, comme un Marius breton. Je restais de longs moments à tenter de deviner l'origine du bateau, sa cargaison, creusant ma mémoire des cours de géographie économique et humaine. J'ai depuis, bien sûr, rangé la Mobylette qui, à défaut des océans, me menait presque tous les jours au Portde. Les tas de charbon ont disparu, les petits bistros aussi. Une grande salle d'animations culturelles les a remplacés. Perte de l'âme d'une ville ? Nostalgie, quand tu nous tiens ... Qui a écrit "sans passé nous n'avons pas de présent" ? Ah, j'oubliais : "À l'abri de la tempête" est à présent une agence du "Crédit Patate", comme on dit à Brest.   Marins, marines 

    Marins, marines

     

    Marins, marines

    * Je n'ai évoqué ici que la Marine nationale française, et son corollaire l'Arsenal de Brest, car je n'entendais parler que de celle-là. "La commerce" et "les pêcheurs", ils passaient à l'as, avec, d'ailleurs, assez souvent, une belle moue dédaigneuse.

    Quant à la plaisance ... balbutiement d'un "truc de riches" auquel je suis resté depuis complètement étranger. Dommage, peut-être.

    Partager via Gmail Yahoo! Pin It

  • Commentaires

    1
    Lundi 27 Mai 2019 à 09:13

    Beau récit nostalgique comme toujours quand tu parles de Brest dont tu évoques l'ambiance avec talent.
    Chaque port est différent, ici ce sont les pêcheurs qui ont l'admiration de tous et qui l'ont toujours eue, même si maintenant ils sont de moins en moins nombreux. Le folklore survit encore un peu.

      • Lundi 27 Mai 2019 à 11:24
        Ici le folklore à pris un bon coup après la suppression de l'uniforme : comment les filles allaient-elles pour caresser le pompon porte-bonheur ?
    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    2
    Lundi 27 Mai 2019 à 10:06

    oh, mais si tu récuses les vieux clichés, puisque tu as tes propres souvenirs, forcément, en lisant ta très belle page,  ils s'imposent au lecteur qui  a été nourri de leur mythologie : rappelle toi, Barbara, t'as d'beaux yeux, tu sais .... et   les rixes et départs sans retour  de tant de films et chansons... marins, marins d'eau douce, une femme dans chaque port, et la ville martyre... waouh, tu convoques l'histoire, là, drapée dans la nostalgie,  et de bien belle façon ,   et la rue de Siam est coincée dans la chanson de Piaf, qui avait un fort faible pour  les amants transitoires, marins et

    légionnaires

    "Avec ses yeux de marin anglais Et son ciré de la rue d'Siam...Un autre marin me fera l'oublier...Mais y a tous ces foutus navires Qui continuent de me narguer Et dans la rade, semblent dire Quand le vent les fait tanguer : Tu n'as pas fini, fini d'naviguer...Tu n'as pas fini, fini d'naviguer..."

     

     

    3
    Lundi 27 Mai 2019 à 11:20
    Merci Emma. Tu me rappelles ceci : ma mère adorait chanter, mais elle pouvait pas entendre parler de Piaf, "la dévergondée" ! ...
    4
    Lundi 27 Mai 2019 à 17:44

    On a besoin de la finesse de cette mémoire pour mieux comprendre notre avenir

    5
    Lundi 27 Mai 2019 à 19:45

    J'aime quand tu évoques tes souvenirs...

    Merci pour ceux-ci.

    Passe une douce soirée.

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :