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Par
Loiko dans
Ecrits de ma vie le
26 Mars 2017 à 17:11
MADELEINES
Toquer à la porte comme il faut,
comme on nous l'a appris,
doucement, car elles dorment peut-être,
Sieste du dimanche oblige ;
Respect.
Entrer seulement quand nous y avons été invités,
Chausser les patins,
s'asseoir sur une des chaises en velours moelleux,
Toujours la même, toujours à la même place ;
C'est plus simple et ça évite les disputes,
Elles n'aiment pas les cris,
Ne sont pas habituées aux enfants.
Une bonne odeur de thé nous parvient,
Mais ce n'est que pour les grandes personnes.
Regarder alors la grande soeur qui partage,
Il lui faudrait presque une règle,
La grenadine.
Au beau milieu de la table, une corbeille,
de madeleines, Joëlle ne les aime pas,
"Elle ne sait ce qu'elle perd" a dit Madeleine.
Elle est Tante Madeleine, la soeur de Papa,
prononcer Tannmat'leine.
Elles vivent ensemble, Mémée Marie et elle,
C'est elle - je n'ai jamais su -
Qui paie le loyer de l'appartement ?
Elles vivent ensemble, la mère, la fille,
Relation fusionnelle.
Un long mur, tapisserie aux grandes fleurs
Un peu couleurs cimetière.
En plein milieu, pour mieux l'adorer,
le Christ, sur un grand tableau sinistre ;
Il a la poitrine percée, en sort un coeur sanguinolent,
"Coeur sacré de Notre Seigneur".
Tante Madeleine nous a dit que c'est écrit en breton,
Mais "je ne me souviens pas des paroles",
Ai-je déclaré un jour, et ils ont tous ri.
De chaque côté du Jésus,
Le grand-père que je n'ai jamais connu, Mathieu.
En militaire de 14/18.
Mort en 1934 "des suites de gazage",
On m'a expliqué tout ça plus tard.
De l'autre côté, Auguste,
le frère de Mémée,
En militaire de 14/18,
Mort au combat deux semaines avant l'Armistice.
Mémée ne s'en est pas encore remise
Et sa vie est auprès d'eux et d'elle, Madeleine,
Et elles prient, souvent, profondément,
Et elles vivent, pieusement.
Mémée m'a offert un Missel, qui appartenait à son oncle
Vivant au temps de Napoléon III, et portant mon prénom.
Le dimanche, c'est fête, toujours.
C'est sacré, la famille, c'est un don de Dieu, disent-elles.
La grenadine et la madeleine, les cadeaux hebdomadaires.
Et puis le Gramophone, oui un vrai,
On a le droit d'y toucher, d'en remonter le mécanisme,
C'est encore mieux quand un disque est en mouvement
pendant qu'on tourne la manivelle.
Des 78 tours, de l'opéra, et puis des chanteurs du temps.
La "voix de son Maître" est venue plus tard, moderne,
Avec deux haut-parleurs, et un changeur de 45 tours,
Pensez-donc !
Tante Madeleine est à l'aise,
"Agent d'assiette des Impôts", ça classe, même si
(surtout) quand on ne sait pas ce que c'est ...
Elle se fait, elle nous fait des cadeaux :
Chaque dimanche, c'est musique classique.
Tous les grands, elle les possède, et se fait
Une joie immense de "nous les apprendre".
Avec des commentaires, mais toujours après la musique,
Jamais pendant, ça tue le plaisir.
"Deutsche Grammophon", ce nom me berce et m'emporte.
Elle s'est offert, pour être dans le vent,
Quelques 45 tours, choisi un peu au hasard :
John William, Richard Antony, Gilbert Bécaud,
"Qu'elle est dure à porter, l'absence de l'ami ..."
Silence complet, apprécier, ou supporter pour ceux qui n'aiment pas ;
En tous cas ne pas se lever :
Le moindre mouvement fait pleurer les lames du parquet
Et le bras, avec son diamant, pourrait rayer le disque !
La séance musicale pouvait durer tout l'après-midi,
jusqu'à ce que la télévision la remplace peu à peu ...
Puis Tante Madeleine s'en est allée, tchip tchip
le chuintement des chaussons
Le thé, la madeleine, la grenadine.
Mes frères et soeurs en ont aussi gardé
Les odeurs, les sensations, les délices,
Le bonheur.
Loïc. J'ai trouvé ce sujet sur Impromptus littéraires.
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Amicalement
Claude