• Gamelles



    Gamelles.

    Eneos, égayé par le délicieux engourdissement dû au poiré rituel du midi au moment de la pause casse-croûte, pose burin et marteau, s’assoit sur le roc qu’il a déjà bien entamé.
    Il ouvre – une des meilleures minutes de la journée – sa gamelle métallique. Ah ! cette gamelle ! Elle est son objet familier, intime, reçu en cadeau de son père, le dernier jour de sa période de formation de tailleur de pierre.
    Un merveilleux fumet de purée de pommes de terre envahit ses narines. De la purée, seule ? non, bien sûr : Sa chère Anita lui a préparé ce matin une belle viande en sauce, bien revigorante et qui « tient bien au corps » … Bourguignon, kebab, coq au vin, peu importe, Anita est un cordon bleu hors-pair. Er c’est certainement excellent, et si bon pour le moral.
    Alors, stop à la poussière de la pierre ; et puis aujourd’hui c’est vendredi, demain son outil sera la raquette, le tournoi de tennis avec son copain Yanis.
    Mais tout cela serait trop beau. Dans ce coin de Grèce (comme dans tout le pays d’ailleurs) les villages sont envahis de chiens et de chats, qui n’appartiennent à personne, et qui sont donc les animaux de toute la communauté, nourris et soignés par tout le monde.
    Un chat est apparu, s’est approché de la gamelle posée sur les genoux, il a sauté … Tout est à terre, et sur le pantalon …
    Eneos en pleurerait. Non pas à cause du gâchis de la nourriture, mais pour la sortie violente de son joli rêve quotidien. Sa déception est immense, il enrage. Le baba au rhum du dessert ? il le jetterait bien à la tête de ce foutu gros chat.
    Au dîner, ce soir, il tentera sans doute de se remettre du cœur au ventre, grâce à une bonne rasade d’ouzo. Mais … ce ne sera pas pareil …

    Loïc
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  • Commentaires

    1
    Jeudi 15 Octobre 2015 à 14:25
    La gamelle métallique des ouvriers, qui n'est pas connue qu'en Grèce ! Et qui, sous des formes dérivées,sophistiquées, souvent en plastique, fait le bonheur maintenant des gamins à leurs goûters, ou des jeunes travailleuses qui à la pause de mi-journée ne veulent pas se rendre à la cantine ou au restaurant ... Il est grec, cet homme dont tu nous écris la mésaventure, à cause d'un chat errant et quand on garde à l'esprit la situation de la Grèce, on comprend le drame. Merci beaucoup, Loïc, pour cette prenante tranche de vie. Bises amicales à toi et Annie.
    2
    Vendredi 16 Octobre 2015 à 07:45
    Oh le vilain matou chapardeur, je comprends sa déception de ne pouvoir se régaler du bon repas de son épouse. Elle lui en fera d'autres et il fera attention... J'ai beaucoup aimé te lire, mon esprit a vogué vers la Grèce. Beau week-end
    3
    Anonyme
    Vendredi 16 Octobre 2015 à 09:06

    Bonjour Tizef !

    Quand j’ai commencé dans l’industrie,
    on faisait 10 heures par jours en travaillant
    aussi un samedi sur deux, et je mangeais à la gamelle.
    Une en acier émaillé de couleur bleu foncé.
    Mais je n’ai jamais eu de chat la renversant !

    Bonne journée !

    Rotpier

    http://rotpier.over-blog.com

    4
    Jonas D.
    Vendredi 16 Octobre 2015 à 10:15
    Jolie chronique où l'évasion d'une pause serait elle aussi troublée par l'invasion du quotidien. Jonas
    5
    Vendredi 16 Octobre 2015 à 10:55
    "Avec sa gamelle,
    à p'tits pas (ter)
    avec sa gamelle
    au port il s'en va.

    Dormir toute la journée
    et puis le soir encore
    voilà la destinée
    de l'ouvrier du port

    etc ... une vieille chanson de l'Arsenal de Brest, où les travailleurs pratiquaient beaucoup l'auto-dérision ... !
    Loïc
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    6
    Vendredi 16 Octobre 2015 à 12:52
    Ça rappelle le briquet du mineur. Leurs gamelles était à peu près du même genre.
    7
    Vendredi 16 Octobre 2015 à 14:52
    de quoi ruminer des fantasmes de civet de matou !!!!
    8
    Samedi 17 Octobre 2015 à 09:05
    très beau texte ! Ne pas en vouloir au matou qui, lui aussi, avait faim. Et par extension, tout le peuple grec a faim !
    9
    Jeudi 22 Octobre 2015 à 10:12
    Tout cela est bien d'actualité ! Une métaphore qui se transforme en matou ou le contraire peut-être !
    J'aime beaucoup ce texte.
    10
    Vendredi 30 Octobre 2015 à 23:33
    Le réconfort passe aussi par la tête et le coeur, bien que ceux qui se restaure dans une gamelle soient de rudes travailleurs dont le dur labeur creuse l'estomac. Je comprends son désarroi, c'est un peu l'amour d'Anita qui s'est malencontreusement renversé...
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