• En retraite, le Père Noël ?

    En retraite, le Père Noël ?

     

    Les enfants se morfondaient au fond de l'église où les avaient traînés leurs parents. Une volée de carillons les sortit de leur torpeur ; Cette fichue messe de Noël n'en finissait pas de se terminer.

    Ces damnées cloches, ils voulaient les briser, les éclater, depuis leur découverte, un froid matin d'hiver, dans une grange oubliée. Ils les haïssaient. Mais que pouvaient-elles bien représenter pour eux ? Elles leur volait l'instant magique de l'ouverture des cadeaux... Ils avaient ainsi damné leur enfance, la livrant à l'image du garde-à-vous, ordonné par le savoir-vivre, le doigt sur le pli du pantalon. Damnée était aussi leur enfance, dont ces cloches reflétaient leurs premiers combats, échecs cuisants et déceptions.

    Déçus, dégoûtés puis révoltés par cet avenir trop sombre, ils avaient fomenté ensemble un plan machiavélique, ils s'étaient accordés pour refuser la vie horrible que leur famille leur préparait, dans ce village perdu au milieu de rien. Leur existence entière était cyniquement programmée, imperturbable. Ensemble ils feraient bloc, ensemble ils disparaîtraient.

    Les « grands » (ils avaient de douze à quinze ans) s'approchaient lentement du grand fossé, le plus froid, le plus noir, le plus infernal. Cela se passerait plus vite, leur choix n'était donc pas innocent…

    Alors les grands commencèrent à se dévêtir, posément, de manière cérémonieuse. C'était le rite. Se tournant les uns vers les autres, ils partageaient des regards absents, hallucinés. Ils furent bientôt allongés, nus, dans la boue gelée. Pas un ne se plaignait. Ils faisaient corps, résignés mais heureux. Ils attendaient.

    Alors les grands entendirent un tintement de clochettes, un bruit étouffé de galop leur parvint du ciel : ils le reconnurent immédiatement, habitués, celle-là on ne la leur ferait plus : le Père Goriot, le bien bouffi, le bien rougeaud, recommençait pour la énième fois son manège.

    Un seul enfant s'écarta des autres, le seul – car il était le plus jeune – qui « y » croyait encore : Loïc, le petit dernier. Il s'adressa à la troupe sur un ton étonnamment mature et assuré :

    « - Je n'en reviens pas… Je lui avais écrit, comme tous les ans, pour lui faire mes demandes, et voilà sa réponse, très sèche, très brève:

    - Mais... Chers petits enfants, vous ne me verrez plus jamais, ni dans les cheminées, ni dans les magasins, nulle part. C'en est assez. Trop vieux, trop mal. Pardon. Adieu. Je me retire. Comme on dit chez vous, je « prends une retraite bien méritée ». Du haut de mes cinq ans (et avec l'aide de ma maman), je lui ai aussitôt répondu, avant de sombrer dans un désespoir qui aurait pu m'être fatal… :

    Papa Noël, qu'est-ce qui t'arrive ? Tu as un coup d'mou, comme dirait mon papa ? Ou bien t'es malade ? C'est vrai que toi t'as pas d'mère Noël pour te soigner… Mais dis donc, faut pas t'laisser aller, surtout dans un moment pareil ! Secoue-toi : va voir un docteur, bois beaucoup de vin chaud et de grog, couche-toi plus tôt le soir, prends du sirop et des tisanes aussi, ou j'sais plus, mais faut pas te laisser aller : T'as encore mes cadeaux à livrer, j'te rappelle, et bientôt aussi ceux de ma p'tite sœur, qui va arriver en mars prochain, alors… Au boulot !

    D'ailleurs, tu t'ennuierais, en retraite… »

     

    Goriot, interloqué, essuya bientôt une larme sur sa joue boursouflée et couperosée, se moucha très fort, ce qui fit s'esclaffer certains grands…

    Comment ça, prendre ma retraite ? Mais j'y suis déjà, depuis bien trop longtemps ! Je me dégrade, je gaspille ma santé et ma vie, je grille mes dernières espérances, je gâche mes ultimes énergies !. »

    Il descendit de son traîneau, saisit une bouteille de vin rouge bien entamée, approchant le goulot près de sa barbe.

    « Arrête, Goriot ! Les grands l'avait reconnu dès son arrivée (C'était toujours le père Goriot, le Père Noël !). Kevin – qui était déjà presque un homme – s'adressa à lui d'une voix qu'il voulait ferme, affirmée et convaincante.

    « Nous te connaissons tous, Goriot. Ne pars pas en retraite : tu sais très bien ce que tu deviendrais. Ne sois pas le clochard du village. Nous avons besoin de toi : reste, nous irons te rendre visite, souvent. Tu as des tas de choses à nous apprendre ... des techniques de menuiserie–ébénisterie, tiens ! Nous pouvons t'assurer, te promettre que tu ne t'ennuieras jamais, nom de nom !

    Sans mot dire, le Père Noël offrit à Loïc un marteau et une boîte de clous.

    Puis il posa la main sur l'épaule du benjamin : « Fais-en bon usage, petit », et, se raclant la gorge : … À bientôt les gars ; Noël est passé, je prépare l'atelier pour vous ! »

    Loïc (re-publication) 

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 21 Décembre 2017 à 13:08

    Y a du taff en effet ! Le courrier c'est magique quand on y pense...

    2
    Jeudi 21 Décembre 2017 à 13:16

    Joli conte imprégné de réalité, c'était du temps béni où les jouets étaient en bois et où les tablettes n'existaient pas...
    Est-ce que le père Noël a ses points pour la retraite? Non. Alors ils doit continuer, nomého!

    3
    Jeudi 21 Décembre 2017 à 13:40

    Je crois bien que le bonhomme rouge travaille au noir, mais chut ...

    4
    Jeudi 21 Décembre 2017 à 15:06

    Quand le Père Noël enfonce le clou, tout le monde devient marteau. ;-)

      • Jeudi 21 Décembre 2017 à 17:18

        En voilà un humour solide !

    5
    Vendredi 22 Décembre 2017 à 07:56

    Chacun a son monde pour faire vivre les plus belles histoires de noël et c'est ainsi que le savoir se transmet

    Amicalement

    Claude

    6
    Vendredi 22 Décembre 2017 à 10:30

    C'est une magnifique page, j'aime énormément.

    Le Père Noël ne peut pas prendre sa retraite, il en décevrait beaucoup.

    Je suis d'accord avec Almanito.

    Passe un bon Noël, Loiko.

    Amitiés.

    7
    Vendredi 22 Décembre 2017 à 11:38

    Merci pour tes commentaires, Quichotine, qui sont tous des modèles d'encouragements !

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