937, rue des Ménines
J’ai visité ce quartier du vieux Madrid lorsque j’étais jeune, puis maintes fois au hasard de mes mutations et déménagements, quand j’exerçais au Service National desP.I.N.I. (Points d’Interrogations Non Elucidés).
Je tombe ce soir en arrêt, au fond d’un patio, devant ce qui ressemble à un grand écran de laboratoire … En pareil lieu, qui évoque l’ancien, l’odeur du bois antique, et le calme (ou même l’ennui). Je reste interdit à contempler une plaque blanche, saugrenue, anachronique, et me laisserait bien hypnotiser par la lumière crue, insolente autant que mystérieuse. Au bas de ce qui a été transformé en « boutique », un poteau rouge. Une bouche à incendie, pour les pompiers ?
Intrigué, je m’approche de la porte, translucide elle aussi, qui communique avec la pièce. Un numéro : 937, une adresse. Au coin, près d’un réverbère, un panneau « rue des Ménines ». Je devrais peut-être connaître, mais non. Au Service des P.I.N.I. on est professionnellement curieux, et même téméraire si nécessaire. J’ai donc bien sûr poussé la porte vitrée.
Rien. La salle est strictement vide, noyée dans un bain quasi insupportable de ce blanc cru, agressif. Mais une voix lointaine, soudain, derrière moi, une voix un peu chantante, douce et à la fois très fatiguée. Un souffle :
- Te voilà enfin, petit. Je t’attends depuis si longtemps … Regarde.
- Où suis-je ?
Son visage est invisible, camouflé sous une immense barbe. Ses vêtements sont d’un autre temps, un pan de redingote tombe sur le côté d’un fauteuil vermoulu.
- Je lis ton incompréhension et tes questions. Mais regarde, te dis-je.
Un grand tableau couvre le mur entier, magnifique, époustouflant. Je reste figé, muet.
- Tu t’interrogeais devant la plaque de rue au nom inconnu … « Les Ménines », c’est moi. Ou plutôt c’est – c’étaient – les servantes du roi d’Espagne. C’est moi qui ai posé cette plaque. C’est moi qui ai peint les vitres de cette teinte mystérieuse, qui laisse entrer juste la lumière nécessaire.
- Vois-tu beaucoup de visiteurs ?
- Jamais, tu es le premier. Mais ce n’est pas l’intérêt. Mon intention est de vivre avec les Ménines aussi longtemps qu’elles … Je me suis enfermé après m’être donné la mission de conserver cette toile, ma toile préférée.
- Mais alors …
- Oui, petit, tu peux m’appeler Diego, Diego Velasquez.
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Les Ménines est un tableau de Diego Velasquez.
On peut remarquer que le peintre s'est représenté en train de peindre (à gauche). Dans le fond on aperçoit dans l'encadrement d'une porte ouverte le roi d'Espagne, père de l'infante (princesse). Cette porte ouvre sur un monde non visible dans le tableau: effet de mystère et de profondeur. L'effet de profondeur est rendu par les trois plans: l'infante et les ménines qui forment le premier plan; le peintre et les adultes qui surveillent l'infante, au second plan et dans le troisième plan des tableaux avec le roi d'Espagne. Les jeunes femmes corpulentes sont les ménines, c'est-à-dire les demoiselles d'accompagnement des princesses espagnoles. Ici ce sont des nains et des naines.
Loïc, dans l'atelier d'écriture "Poudreurs d'escampette".
C'est très inattendu et original, bravo!